Le logement modulable par Cyrus Mechkat, architecte
La chambre qui fait oublier les fragilités est la chambre de Madame et Monsieur Tout-le-Monde. Tout comme le bus à plancher surbaissé qui peut faire oublier à ses usagers leurs fragilités.
Toutefois, l’ampleur de la mutation touchant Madame et Monsieur Tout-le-Monde est telle qu’elle est en train de changer drastiquement leurs habitudes et besoins : ils vivent de plus en plus vieux, ils font et défont leurs couples, ils voient leurs conditions de travail se fragiliser, leur environnement socio-culturel s’émietter, sur fonds de révolution numérique.
L’objectif annoncé du projet est d’imaginer quelle sera, dans les années 2030, la configuration de l’habitat dédié aux personnes âgées, afin de réduire les situations de fragilité et, ce faisant, de renforcer le lien social.
Il ne suffit plus d’ajouter dans l’habitat quelques prothèses, mais d’essayer d’éliminer les obstacles qui handicapent telle ou telle catégorie d’usagers souffrant de difficultés passagères ou permanentes. Au lieu de réaliser des constructions coûteuses et ségréguantes, il est plus simple d’adapter au design de l’habitat ordinaire les leçons apprises dans la construction d’EHPAD et d’habitat assisté. Tout comme la technique du plancher surbaissé des véhicules dédiés au transport-handicap qui a pu être adaptée aux transports publics et offre aujourd’hui, tout en facilitant leur mobilité, une plus-value qualitative à tous ses usagers fragilisés par l’âge, un accident ou une maladie, chargés de bagages ou accompagnés d’enfants comme à tous les autres usagers ordinaires, à la recherche de confort et d’un design pour le plaisir des yeux.
Avec la mutation en cours, le logement de Madame et Monsieur Tout-le-Monde est beaucoup plus sollicité qu’auparavant, en temps et en type d’occupation. Normé a minima, il a été conçu pour des personnes passant leurs journées sur le lieu de travail : il servait au repos du guerrier et à la reconstitution de sa force de travail. L’âge arrivé, ces personnes ont quitté, parfois dès la cinquantaine, le monde du travail et passent leurs journées à la maison. Où et comment peuvent-elles s’approprier le temps libre si longuement désiré ? Si c’est dans leurs logements actuels, leur réaménagement va demander une certaine polyvalence et plasticité des lieux, que la rigidité des pièces monofonctionnelles et des choix techniques propres à la construction des 30 Glorieuses rend problématique.
Cette demande ne concerne pas seulement les personnes âgées. Tant qu’à faire elle peut être étendue à la demande d’autres catégories de la population, dont les travailleurs salariés à domicile, les anciens salariés en auto-emploi, les adultes en recyclage professionnel, les étudiants, les jeunes à la recherche d’emplois, les ménages recomposés avec enfants, etc. On cherchera à créer une spatialité, au niveau du logement, et de ses abords immédiats, du quartier et de la ville, qui favorise la réunion et la mutualisation du plus grand ensemble de demandeurs.
Il incombe aux auteurs des nouvelles architectures de créer des lieux ouverts à la diversité et à la plasticité de l’évolution des usages. Ils se concentreront sur la bonne réalisation des points « durs » (structures, enveloppes et colonnes techniques). Ils intégreront les dispositions ou équipements pour répondre aux besoins des usagers fragiles (p.ex. l’éclairage), tout en évitant la connotation hospitalière. Ils prévoiront des réservations (p.ex. pour la pose de barres d’appui au moment voulu, la dépose de meubles sous l’évier, etc.). Le choix des éléments « mous » (p. ex. les parois mobiles, les menuiseries intérieures, divers équipements) peut être fait par les habitants qui le souhaitent, selon leur imagination, leurs modes de vie et l’évolution de leurs désirs et ressources. Ils peuvent employer leur temps libre pour s’adonner au bricolage. Une assistance technique par des artisans du voisinage pourrait leur être assurée, dans le cadre d’échanges contributifs et de recours à des procédés et des matériaux innovants (p.ex. copies 3D, panneaux isolants, douche-baignoire).
C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet de logement modulable présenté ici*. Il expose la matrice d’un plan d’appartement pour un habitant, voire deux. L’appartement doit répondre au storyboard de cet habitant, qui a quelques idées d’aménagement qu’il aimerait développer sur place. Le cahier des charges du plan doit lui offrir un grand espace de vie, baignant dans la lumière naturelle. Cet espace peut se diviser en deux ou trois parties, et disposer d’une suite de services techniques située le long du mur intérieur.
Le schéma présenté ci-dessous montre l’emprise des aires envisagées et les possibilités de superposition offertes par la modularité proposée.
L’espace de vie peut être :
Un espace unique type studio ;
Ou le même espace, divisé en deux, soit « séjour » et « intimité », plus ou moins grands selon le choix fait entre les trois positions de la cloison amovible, avec accès au balcon ;
Ou encore le même espace, divisé en trois, soit « séjour » et « intimité » et, entre les deux, un « espace médian », plus ou moins grand selon la position des deux cloisons mobiles, espace à dédier aux activités intéressant l’habitant (hobbies, travail à domicile, études, lit d’appoint, …).
L’espace des services se compose d’une suite de quatre entités :
La cuisine, ouverte ou fermée, aménageable pour personne en chaise roulante, avec extension possible sur séjour ;
Le petit hall d’entrée ;
L’espace de rangement, situé dans le prolongement de l’espace « médian », avec des armoires volantes, un emplacement pour garer une chaise roulante et un accès direct aux sanitaires ;
Les sanitaires, avec aménagement bac de douche plat ou baignoire (amovible), une porte à deux pans coulissants ouvrant dans l’espace rangements et/ou dans l’espace « intimité » (chambre à coucher).
La planche organisationnelle ci-dessous présente la succession séquentielle de l’aménagement du logement (extraits d’images séquences vidéo).
Les deux planches VARIATION ci-contre illustrent les possibilités de partition. Pour la 1ère, des espaces de vie.
Pour la 2ème d’aménagement des 3 espaces de service, comme suit :
La cuisine, avec différentes emprises et le coin à manger à cheval sur le séjour ;
Les sanitaires à deux portes coulissantes sur l’angle (solution créée à l’attention des personnes malades d’Alzheimer), l’alternative baignoire ou douche et la pose des barres d’appui ;
Dans la partie rangements jouxtant l’espace « médian ».
Les trois planches 3D montrent :
La cuisine, avec deux vues, l’une en version ordinaire, l’autre en version adaptée à une personne en chaise roulante,
Les sanitaires, avec une vue version pour personne très âgée accompagnée par un soignant, avec barres d’appui WC, bac de douche, siège rabattable (et rideau de douche ou panneau de protection, selon demande).
La série d’images montre les dispositions architecturales conçues en « open space », pour la « chambre qui fait oublier les fragilités », de Monsieur ou Madame Tout-le-Monde, qui a champ libre pour réaliser son « chez soi » selon ses désirs, l’évolution de son mode de vie et de rapports d’hospitalité.
La plus-value qualitative obtenue dans le cas de petits logements peut être étendue à des logements plus grands, gagner les espaces communs des immeubles, leurs abords, faciliter l’accès aux communs (ateliers, jardins, services, loisirs, transports) du quartier, l’accès à l’urbanité. Réalisée dans la perspective 2030, les nouveaux projets vont créer un différentiel qualitatif avec le bâti existant, appelé à persister tel quel peut-être à plus de 80%. La réduction du gap passe par la mise en adéquation progressive du bâti existant à l’évolution de la demande sociale. Pour raison économique, cette opération peut être jumelée aux travaux périodiques de rénovation d’immeubles anciens.
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* Cabinet d’architectes MBASSA
Projet Cyrus Mechkat, Bill Bouldin, Vincent Rosatti
c.mechkat@m-b-architectes.ch
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